بيان المجلس الإسلامي الأعلى حول تصريحات الأخيرة لبابا الفاتيكان بينيديكت XVI Alger, 21 chaabane 1427 / le 14 septembre 2006 Quand le pape Benoît XVI parle d’Islam … Dans son discours du 12 septembre dernier et devant un auditoire catholique allemand, le pape Benoît XVI a eu des propos déplacés à l’endroit de l’Islam et de son Prophète. Le pape a fait référence à une controverse qui a opposé, au 14è siècle, un empereur byzantin dont il a donné le nom et un intellectuel persan qu’il n’a pas nommé ; l’empereur en question, qui ne constituait aucunement une référence, avait accusé le prophète de l’Islam d’avoir semé le mal et l’inhumanité et d’avoir diffusé son message par les armes. Pourquoi ce retour au Moyen-Age et à ses préjugés alors que nous sommes au 21è siècle ? La position du pape actuel se démarque ainsi nettement de celle de son prédécesseur Jean-Paul II et de la déclaration du concile Vatican II qui a exhorté « Chrétiens et Musulmans à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle …, à protéger et à promouvoir ensemble pour tous les hommes la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté… ». Pour le pape, le jihâd c’est « la guerre sainte » liée à la violence et au terrorisme ; rien de moins ! En Islâm, le terme jihâd signifie d’abord la guerre juste pour la défense du territoire et de la foi. De retour d’une bataille, le Prophète a dit : « Nous sommes revenus du jihâd mineur au jihâd majeur » Le jihâd mineur s’applique au combat légitime contre un agresseur extérieur, tandis que le jihâd majeur consiste à maîtriser les passions et à pratiquer la paix et la justice. D’une manière générale, la violence est inhérente à la nature humaine. Il faut des efforts méritoires pour l’écarter. Notre père Adam a eu deux fils : l’un a tué l’autre. Nos religions s’efforcent de neutraliser les tendances à la violence par la patience, la piété et l’amour du prochain. L’Islâm prêche la paix et non la violence : « Celui qui a tué un homme qui n’a pas commis de meurtre ou répandu de maux sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes ; et celui qui sauve un seul homme, c’est comme s’il avait sauvé tous les hommes » (Coran, s.5, v.32). Le fanatisme dont parle le pape n’est pas lié, comme il voudrait le faire croire, à l’Islâm à l’exclusion des autres religions, civilisations ou cultures. Au contraire, l’Islâm préconise le pardon et la tolérance. Quant à la violence, elle a touché à un moment ou à un autre toutes les sociétés, depuis l’antiquité à nos jours. La mission de chacune des religions est de la réduire, en éliminant au préalable ses causes réelles. Parler de terrorisme nécessite d’abord de le définir d’une manière exacte. Les Nations Unies ont tenté de le faire sans y parvenir. Certains veulent le confondre avec la résistance légitime à l’occupation étrangère (comme c’est par exemple le cas actuellement de la Palestine et du Liban). Associer le terrorisme à l’Islâm est une absurdité évidente puisque le terrorisme affecte des pays non musulmans comme l’Irlande ou le Sri Lanka. Ce qui est encore plus surprenant dans le discours du pape, c’est qu’il affirme comme une sentence que le christianisme est fondé sur la raison et la philosophie grecque, tandis que l’Islâm serait, selon lui, étranger à l’une et à l’autre ! Cela est totalement infondé. Tout au long du Coran, en effet, il est fait appel à la raison qui gouverne le comportement du croyant et fortifie sa foi et il n’y a dans l’Islâm aucune opposition entre la raison et la foi. La question du rapport de la raison à la foi s’est posée aux trois religions révélées et la réponse a été apportée par trois de leurs représentants les plus qualifiés à l’époque médiévale : Ibn Rochd (Averroès), Maïmonide et Thomas d’Aquin. Tous les trois étaient nourris de philosophie grecque. La philosophie hellénique, faut-il le rappeler, a été traduite en arabe à Baghdad et transmise à l’Europe médiévale ? Comme chacun sait, Ibn Rochd a été le commentateur d’Aristote. Chacun de ces trois grands penseurs est une autorité incontestée dans sa religion. Si le pape veut rappeler les spécificités du christianisme, c’est son droit, notamment lorsqu’il demande à ses coreligionnaires de dire clairement en quel Dieu ils croient. Mais, il se trompe lourdement lorsqu’il affirme que pour l’Islâm, Dieu est absolument transcendant au point que sa volonté échappe à nos catégories ! En réalité, dans l’Islâm Dieu est amour ; « Il est plus proche du croyant que sa veine jugulaire » (Coran, s.50, v.16) ; Il est plein de miséricorde à son égard et lui pardonne ses péchés, lorsqu’il fait preuve de repentir sincère. S’il est juste d’éviter les confusions entre les religions et de délimiter les conditions du dialogue, encore faut-il éviter de s’immiscer dans ce qui fait l’originalité des autres religions et respecter les différences qui existent entre elles. Sans cette condition fondamentale, aucun dialogue inter- religieux ou inter-culturel n’est possible. Le discours de Benoît XVI ne favorise pas le dialogue ; il nourrit, au contraire, le climat d’islamophobie qui s’est amplifié en Occident, surtout depuis le 11 septembre 2001. Si le pape souhaite un vrai dialogue avec l’Islam, il importe qu’il prenne d’abord connaissance de l’Islâm, en faisant appel aux spécialistes islamologues catholiques qui ont le mieux compris notre religion comme les regrettés Louis Massignon, Louis Gardet et Jacques Berque, en évitant de recourir de nouveau à la controverse et à la polémique stériles. Nous sommes en droit de demander au pape de reconsidérer sa position dans un sens conforme à la déclaration du concile Vatican II, de manière à permettre une compréhension mutuelle entre nos deux religions universelles. Dr Bouamrane Chikh Professeur de philosophie musulmane(Université d’Alger) Ancien Ministre de la communication et de la culture Président du Haut Conseil Islamique